Samedi 2 juin 2018, Saint-Louis, Sénégal
J‘arrive à Dakar le 4 avril 2018, exactement 58 ans après l’indépendance du Sénégal, c’est ma première fois en Afrique. Ma première impression ? Poussière, pollution, chaleur, sable, bruit, soleil, une couleur ocre uniforme recouvre mon champ de vision. Je me prépare pour un séjour à Dakar éprouvant.

Je m’installe dans le quartier des Mamelles, qui tire son nom des deux collines qui le caractérisent. Sur l’une d’elle se dresse le phare le plus important d’Afrique, après celui du cap de Bonne-Espérance, et au pied de la falaise, la plage. J’enlève enfin sereinement mes sandales pour avancer dans les vagues et le sable fin, sans craindre le sac plastique qui viendrait s’échouer sur mes mollets. Alors que je parcoure les 300 mètres de la plus belle plage de Dakar, je commence à entendre : le son de la mosquée à l’heure de la prière, les percussions, les rires, les klaxons des taxis, les vagues, je commence à voir : le soleil couchant sur l’Atlantique, les couleurs des robes en wax, les ballons de football, les danseurs, je commence à sentir : l’odeur du tiep bou dienne et du café touba, l’oignon frit, le poisson séché, la menthe, je rentre chez moi avec la douce sensation que procure le début d’une nouvelle aventure : le Sénégal.

Salam Aleikoum ! Maleikoum salam. Nga def ? Man gui fi rek. Yangui si jaam ? Jaam na rek. Je vais à la Brioche Dorée de Ngor, ñaata ? 1000 baax na ! Dieureudieuf ! Niokobok. Man gui dem, ba beneen. Au Sénégal, la langue nationale c’est le wolof. Et connaître les politesses en wolof, c’est indispensable ! N’imaginez même pas dire à un sénégalais que vous êtes là depuis 10 jours sans connaître cette courte conversation, et savoir la dire avec l’aplomb, l’accent, le sourire, et le calme de rigueur. Le wolof est loin d’être la seule langue parlée dans le pays. Il y a le français, langue administrative et de l’enseignement public, mais aussi des dizaines d’autres langues comme le pulaar “Badda” !, le diola “Kassoumaye !”, le baïnouk “Bossumo !”, et bien d’autres que je n’ai pas encore eu la chance de cotoyer.
Au Sénégal on écoute de la musique tout le temps, on danse, souvent. On écoute Kontrol, Samantha, FIA, et Djadja dans les boîtes dakaroises, du Cabo bissau guinéen sur les plages de Casamance, Cheikh Lô et Youssou Ndour avant le dîner et des percus pour le sabar, terme qui désigne une fête, une danse, et une musique traditionnelle.
Et c’est Cheikh Lô qui le dit, au Sénégal, “Il n’est jamais trop tard”. No stress, la vie est douce. On vit en famille, dans de grandes maisons ouvertes à tous, voisins ou étrangers. Autour du bol, il y aura toujours de la place pour un invité en plus ! Hors des villes, il y a toujours eu une famille pour m’accueillir dans sa maison. Les 15 enfants qui y vivent prendront soin de vous, on vous consacrera des heures de discussion, et surtout, surtout “il faut manger”. C’est le pays de la teranga, la culture de l’accueil. Le thé se boit trois fois, c’est l’ataya. La première est amère comme la mort, la deuxième est douce comme la vie, et la troisième est sucrée comme l’amour.

L’amour. Au Sénégal, la grande majorité des hommes ont plusieurs femmes. La polygamie est un sujet très complexe ! D’abord il y a l’aspect pragmatique : plus tu as de femmes, plus tu as d’enfants, plus tu as de revenus pour tes vieux jours, quand tes enfants t’enverront de l’argent. C’est aussi une série de codes et de sentiments insaisissables entre femmes d’un même homme, souvent en compétition. Dans le même temps, plus il y a de femmes, moins elles passent du temps sur les tâches ménagères, et plus elles peuvent en consacrer à d’autres activités, émancipatrices. D’ailleurs les femmes aussi ont leur lot d’histoires d’amour ! Il est courant que les femmes non mariées courent les jupons de plus d’un homme.
Au Sénégal, nio far, “on est ensemble”. Et surtout, on est fiers de faire cohabiter dans la paix une multitude de courants de l’Islam et du Christianisme, qu’on mélange, surtout en Casamance, à des croyances traditionnelles : l’animisme. Les casamançais ont un rapport à la Nature très ancré. Le respect des arbres, des plantes, des oiseaux, de la mangrove, c’est quelque chose de palpable. Dans certaines ethnies, on enterre les morts avec des graines. Alors, lorsque les graines poussent, naît un Bois Sacré ! Dire qu’on est athée, c’est attirer sur soi la pitié. Quel malheur d’être athée ! Comment fais-tu pour vivre ? Où sont tes réponses ? Ce n’est pas possible de vivre sans la foi, viens, je vais t’expliquer.

Attention, ne m’explique pas de trop près saï saï. “Saï Saï” ce sont les petits malins, les dragueurs, les taquineurs. L’humour sénégalais, ironique, moqueur, second degré, autodérision maximale, l’art de la blague est roi.
Bref au Sénégal, on rigole, mais pas sur l’apparence, que ça soit les vêtements — les Sénégalais sont fiers ! bien sapés en toutes circonstances — ou les relations humaines. En façe tout va toujours bien, en dessous il y a des histoires d’argent, d’amour, de famille. Les familles, les communautés, les voisins se supportent financièrement. Donc quand tu gagnes de l’argent, tu le gagnes pour tout le monde. L’argent est commun, et la base de beaucoup de relations. La notion de partage est très forte, avec les enfants notamment, dont toute la communauté s’occupe. D’ailleurs, si ta soeur ne peut pas avoir d’enfant, tu peux lui en donner un des tiens. Mais quand il s’agit de business, l’entraide n’est plus monnaie courante. Si tu réussis mieux que les autres, attention aux bâtons dans les roues ! Alors arrive le fataliste “C’est comme ça”, au Sénégal, “c’est comme ça”.

“C’est comme ça”, sauf pour les dizaines d’entrepreneurs et de militants que j’ai rencontrés sur ma route ! Chacun a plusieurs projets, au gré des tendances, la volonté d’aller de l’avant, de contribuer à la société, de trouver sa place, de planter sa graine. L’agriculture fera l’objet d’autres articles, mais les politiques gouvernementales et la pression des multinationales (françaises notamment) ne découragent pas les sénégalais : “Petit à petit, l’oiseau fait son nid”.
Entre étrangers au Sénégal, les débats sur le post-colonialisme vont bon train. 58 ans d’indépendance et des industries françaises encore omniprésentes : Eiffage pour les autoroutes, Orange pour la téléphonie, Auchan et Casino pour les supermarchés. Au Sénégal on paie en francs CFA (Colonies Françaises d’Afrique), on écoute France Info dans les taxis et on regarde TF1. Alors que vous êtes bloqués dans les bouchons dakarois depuis plus de 30 minutes, vous entendez à la radio qu’on annonce un pic de pollution à Paris, est-ce vraiment ce qu’on a besoin de savoir ? Situations de dépendance économique, corruption, terrain d’expérimentation pour grandes entreprises fatiguées des legislations européennes, la Françafrique Nio far, vraiment ?
Au Sénégal, en tant que blanc, tu es un Toubab. Ta couleur de peau fait de toi un étranger, où que tu ailles. J’ai mis presque deux mois à écrire cet article, et je n’en suis pas encore satisfaite. Certaines choses restent inaccessibles, secrètes, ce sont “nos trucs d’africains”. Cette dimension mystique insaisissable, ce rythme dans les corps, cette force physique et mentale, autant masculine que féminine, qui te fait sentir que pour comprendre le Sénégal il va falloir bien plus que trois mois de Seed Tour. Alors voilà, dans deux semaines c’est le départ. On se serre la main de la main gauche, car on a espoir de se retrouver, Sénégal.

Ca vous a plu ? Découvrez Impressions Mexicaines et Impressions Cubaines !
Bravo beau résumé! 2 mois pour l’écrire mais au moins c’est pertinent. 😉
LikeLike