…et elle m’a mis une sacrée claque.
Jeudi 11 Janvier, première semaine à Mexico, j’arrive vers 16h, toute fraîche avec mon Seed Tour et mes envies de changer l’agriculture, à la UNAM (Universidad Nacional Autonoma de Mexico), la plus grande université latinoaméricaine.
Grâce à Jennifer Kendzior, réalisatrice de Share the Seeds (voir l’article), j’ai la chance de rencontrer Elena Lazos, docteur en anthropologie et sociologie du développement.
Elena Lazos fait partie de l’Instituto de Investigaciones Sociales, concrètement, ce sont les études de tout ce qui touche à l’Homme et à nos sociétés. Tout l’aile dans laquelle je la retrouve est dédiée à l’agriculture. Et en effet, elle en connaît un rayon.
Après lui avoir rapidement présenté le Seed Tour, elle prend une feuille et un crayon et se lance dans l’explication de ce qu’englobe le problème des semences. C’est la première fois qu’on me présente aussi clairement l’ensemble des tenants et des aboutissants du problème.
En image ça ressemble à ça :
Ici, je tente de vous retranscrire ce que j’en ai retenu.
“Semillas”, au milieu, ça veut dire “semences”. Autour, il y a toutes les parties prenantes qui font que la situation des semences, et plus généralement de l’agriculture, est ce qu’elle est aujourd’hui. Chacune de ces parties a un enjeu différent. Ce qui est intéressant dans cette analyse rapide, c’est qu’elle est applicable à tous les pays.
- Les politiques
Enjeu : A quoi j’accorde mon budget (les subventions) pour encourager la croissance ?
- Les consommateurs
Enjeu : comment me nourrir au mieux en fonction de mon budget ?
Concernant les consommateurs, on peut aller plus loin et distinguer trois dimensions liées à cet enjeu :
– la dimension culturelle (niveau microéconomique): habitudes alimentaires, budget accordé à l’alimentation, etc. Exemple : suis-je prêt à arrêter de manger au MacDonald pour préserver ma santé ?
– la dimension sociale (niveau macroéconomique) : contexte social, familial, régional, communautaire, etc., dans lequel j’évolue. Exemple : il y a-t-il dans mon périmètre d’achat des magasins qui vendent des produits frais et venant directement du producteur ?
– la dimension économique : au vu de ce que je gagne et du prix actuel des aliments issus de l’agroécologie, puis-je envisager de les acheter ?
- Les producteurs
Enjeu : comment vivre de ma production ?
Concernant les producteurs, on retrouve ces trois mêmes dimensions :
– la dimension culturelle (niveau microéconomique) : habitudes de production, niveau de connaissances agronomiques. Exemple : si toute ma vie j’ai éradiqué tel parasite avec tel produit chimique et que je ne souhaite plus l’utiliser, quelle est la technique “naturelle” pour le remplacer ?
– la dimension sociale (niveau macroéconomique) : contexte social, familial, régional, communautaire, etc., dans lequel j’évolue. Exemple : l’agroécologie est plus productive que l’agriculture industrielle à long terme car elle enrichit le sol. Mais si je ne suis pas propriétaire de ma terre, pourquoi aurais-je intérêt à l’enrichir ?
Dans le contexte mexicain, on peut rajouter ici la facilité à émigrer. Est-ce que je travaille pour pouvoir partir ou pour pérenniser mon exploitation ?
– la dimension économique : comment vendre plus en dépensant moins ? Ici rentrent en compte le coût d’achat des consommations intermédiaires (semences, engrais et produits phytosanitaires si utilisés) et le prix de vente de la production.
La question des brevets et certifications pour l’agriculture biologique doit être abordée dans la dimension économique côté producteurs. Pour pouvoir vendre ma production au prix du marché des produits issus de l’agriculture biologique, je dois obtenir une certification qui me coûte x. Le coût de la certification additionné à mon coût de production en agroécologie est-il suffisamment bas par rapport prix de vente final de mes produits ?
- Les scientifiques
Enjeu : trouver une solution pour nourrir la population du pays.
On a une population qui augmente, un exode rural croissant, comment nourrir mon pays avec plus d’habitants et moins de paysans ? Il faut augmenter la productivité de mes champs. Le progrès génétique en ce qui concerne les semences a longtemps été vu comme une solution à l’augmentation de la productivité des champs, mais l’avancée des connaissances en biologie montre aussi qu’on peut se passer des produits chimiques et de la transformation génétique en travaillant mieux les ecosystèmes.
Donc finalement, pour préserver la biodiversité, manger des aliments qui nous nourrissent, et rendre leur autonomie aux paysans, il faut mettre d’accord ces enjeux. “C’est pas simple”. Non c’est pas simple. Pourtant une flèche retient mon attention, une petite lueur d’espoir sur ce schéma qui m’a minée toute la soirée. Il s’agit de la flèche qui relie le cercle “Consumidores / Mercado” au cercle “Organizaciones Dinámicas”. Aujourd’hui en France, les paysans sont plus ou moins organisés. Les consommateurs le sont parfois aussi mais beaucoup moins à mon avis. Et surtout cette flèche, ce lien entre organisations de consommateurs et organisations de producteurs est à renforcer.
Elena connaît l’ampleur du problème et la difficulté de la tâche. Je lui demande quand même son opinion sur le sujet, elle partage la vision du Seed Tour ! Les semences paysannes doivent être préservées dans un souci écologique, de santé humaine et autonomie paysanne.
La bonne nouvelle, c’est qu’on sait déjà que l’agroécologie peut nourrir le monde grâce à Mr Marc Dufumier, que j’ai eu la chance de voir en conférence.
Pour le reste on l’aura compris, tout est une question d’argent. Alors soit on change le rapport à l’argent de 6 milliards d’être humains, soit on rend l’usage de semences paysannes et les pratiques agroécologiques rentables.
On ne baisse pas les bras, on va chercher les solutions et on dit MERCI ELENA !