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Le Chiapas est un état du Sud du Mexique. Une frontière maritime sur le Pacifique, l’autre sur le Guatemala, et au Nord coupé du Golfe du Mexique par le Tabasco, le Chiapas possède de hautes montagnes et des forêts millénaires. C’est l’état mexicain dans lequel on trouve le plus de communautés indigènes, maya tzotzil, maya tzetlal, et autres. Les chiffres sont peu fiables car le recensement est compliqué, mais on dit qu’un habitant sur deux y travaille la terre. Tuxtla Gutiérrez en est la capitale mais San Cristobal de las Casas est la ville la plus visitée, pour son ambiance, ses rues pavées et sa situation au coeur des montagnes.

A partir de 1994, le Chiapas est devenu la terre de conflits armés entre le gouvernement mexicain et l’armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Les habitants du Chiapas, sous la direction du Subcomandante Marcos, ont pris les armes face au manque d’écoute du gouvernement mexicain quant à leurs revendications, notamment celle de l’accès à la terre. De 1994 aux années 2000 (et encore aujourd’hui dans une moindre mesure) la zone fut le théâtre de funestes affrontements, on se souviendra notamment du massacre d’Ocosingo de janvier 1994.

Dans le Chiapas, on passe de 10 à 35 degrés en quelques kilomètres. J’en ai fait l’expérience en arrivant à Palenque, ville dans laquelle j’ai eu la chance de vivre chez Edmundo. Fervent défenseur de la forêt et des espèces endémiques qui y poussent, Edmundo partage les savoirs mayas et soutient les communautés de la région via son association Amextra. Il nous décrit le contexte agricole dans lequel il évolue dans ce That’s What They Seed filmé sur le toit de sa maison, juste à côté de son jardin potager  :


Ce qui a retenu mon attention dans le Chiapas, c’est aussi la propension des jeunes à en sortir, pour aller étudier ailleurs, à la ville de México par exemple, mais aussi à y revenir, conscient que leurs traditions vestimentaires, culinaires, religieuses, musicales, leurs forêts, leurs montagnes et leurs villages sont en péril. Une génération consciente que s’ils n’agissent pas, personne ne le fera à leur place.

Je vous propose ici deux portraits de jeunes chiapanecos rencontrés sur ma route, qui ont inspiré cette réflexion.

Claudia Ruiz est née à San Juan Chamula,

une communauté Tzotzil près de San Cristobal de las Casas connue pour son église dont les murs servent autant au culte catholique que maya. Partie étudier et travailler à la ville de México, elle prend conscience de l’importance de perpétuer les traditions gastronomiques de sa communauté. San Juan Chamula se situe dans le Chiapas, mais sous le terme « comida chiapaneca » qu’on retrouve dans tous les marchés du pays, on ne retrouve pas ce qu’elle mangeait étant enfant. Profitant de l’essor touristique de la ville de San Cristobal de las Casas, elle décide d’y revenir et d’y ouvrir un restaurant de cuisine de San Juan Chamula. Chez Kokono, on mange local et de saison. Claudia réunit en un seul lieu gastronomie, culture, langue, coutumes et traditions de sa communauté.

Mais Kokono c’est plus qu’un restaurant, c’est l’affirmation de la présence des produits indigènes dans la cuisine régionale du Chiapas. Dans le Chiapas, on se dit “mestizo” ou “indigena” mais on n’est pas des deux. Les deux groupes vivent séparés et ne mélangent pas leurs traditions culinaires.

Kokono c’est aussi un projet d’émancipation pour Claudia. Être entrepreneure, femme, à San Juan Chamula, c’est pas tous les jours. Alors contre vents & marées, ou plutôt contre clichés & uniformisation, Kokono sert les chanceux visiteurs de San Cristobal de las Casas mais aussi locaux depuis moins d’un an… et ça cartonne !

Moi par exemple, j’y ai mangé un Vok-ich ta alak (en langue Tzotzil). C’est une sorte de maïs (et désolée d’avance de dénaturer complètement le plat avec ma description de française), dans une soupe avec de l’epazote qui est une plante aromatique et médicinale.

En bonne seedeuse j’ai demandé d’où venaient les graines de ce qu’on mangeait. Claudia me rappelle que dans le Chiapas, le gouvernement offre des graines transgéniques aux producteurs. En plus d’appauvrir les sols, cela créé des conflits entre producteurs puisque ceux qui les acceptent contaminent les champs de ceux qui les rejettent. Ce qui est sûr, me dit-elle, c’est que pour avoir les saveurs que testent actuellement mon palais, les graines, elles les a reproduites elle-même !

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Merci Claudia et GO KOKONO !

En savoir plus sur Claudia Ruiz et Kokono:

Marco Girón est né à Tenejapa,

une communauté tzeltal près de San Cristobal de las Casas. Il est photographe, comme son père, et après des années d’études loin de sa famille, il a décidé de revenir et d’ouvrir la première et la seule galerie de photos de son village. Il nous emmène à Tenejapa voir le rituel des semis, représenté lors de l’avant-dernier jour du carnaval en Février. Les hommes et garçons du village suivent un rituel et cheminement précis toute la journée, représentant le moment de semer les graines de courges. Dans le Chiapas, le carnaval ouvre la saison des semis !

Marco veut mettre en avant, mettre en beauté ce rituel, souligner le travail des textiles utilisés, des chants, des danses et du déroulé, comme un devoir de mémoire collective. Après quelques heures de carnaval, on s’assoit (épuisés !) autour de huaraches préparés dans un restaurant du village (la fameuse tortilla de maïs reine, garnie de ce qu’on veut. C’est comme un tacos mais de la taille d’un kebab, ça vous parle ?). Il nous raconte que toutes les photos qu’il prend sont mises à disposition gratuitement des familles photographiées. Pour qu’elles appartiennent à tous ! Le but n’est pas forcément touristique, mais plutôt de créer un espace dans le village pour que les habitants viennent y faire vivre leur culture, y organisent des événements et se rappellent les bons souvenirs, ainsi que la mémoire des disparus.

Pour qu’on puisse assister au carnaval, Marco va parler aux anciens à Tenejapa. Ils nous autorisent à nous joindre au groupe et ça y est, on peut filmer. Marco nous dit que c’est important qu’on participe, pour faire connaître le carnaval de Tenejapa et garder des images. Il aimerait faire venir des petits groupes comme nous tous les ans. Mais si de plus en plus de gens comme nous participent, comment va devenir le carnaval de Tenejapa ? Envahi de touristes comme à San Juan Chamula ? Difficile de trouver l’équilibre entre ouverture, source de revenus, et communautarisme pour préserver l’authenticité des traditions.

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Le rituel des semis reproduit toutes les étapes de l’agriculture à Tenejapa. Ici on représente un paysan qui met le feu à la terre pour la désherber et l’enrichir grâce aux cendres. C’est la technique ancestrale des cultures sur abattis-brûlis, controversée car traditionnelle mais mettant en péril l’environnement.

Plongez-vous dans le 14ème jour du carnaval à Tenejapa :

 

En Mars je quitte le Chiapas pour Campeche, puis le Yucatán. Sur ma route je continue à rencontrer des gens qui reviennent, ou qui aident et incitent les gens à revenir. Pour conclure cette thématique du retour, je vous laisse avec Dino, Gardien de Semences à Xoy, Yucatán. Il souligne l’importance de passer le flambeau aux jeunes, pour conserver les espèces, la culture, et ne pas perdre les terres ancestrales :


 

C’était le premier sujet du Seed Tour alliant texte, audio, photo et vidéo, ça vous plaît ? Donnez-moi vos impressions !